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Ua Pou, l'île cathédrale... Les Marquises ne nous laissent pas partir...


Vagabond plonge son étrave harmonieusement dans les vagues malgré une mer mouvementée. Tom apprécie la balance de la coque classique de notre petit voilier, qui n’est certes pas la plus rapide mais qui gère plutôt bien les vagues... 28 milles nautiques séparent Nuku Hiva de Ua Pou. Après 7 heures de navigation, nous jetons l’ancre dans 8 mètres de fond de sable. Vagabond flotte sur une eau turquoise devant un palais de conte de fée. Un délicieux parfum de fleurs de jasmin s’envole jusqu’à nous, mmmmm qu’est-ce que ça sent bon !

Allez roule et roule et roule !

La première journée à Ua Pou débute en beauté. Des visiteurs inattendus viennent animer notre petit déjeuner : les dauphins sont dans la baie ! C’est trop beau ! Un superstitieux vous dira qu’ils ne viennent jamais par hasard, Vagabond s’appelait « Dauphin » avant qu’on le rebaptise... Mon café a refroidi, j’étais bien trop occupée à mitrailler avec mon appareil photo. Le spectacle a duré au moins une heure.

Ici, comme presque partout aux Marquises, il n’y a pas de barrière corallienne et donc, il y a du monde qui rentre dans la baie... Cela signifie que l’on peut rencontrer des dauphins, des raies Mantas mais aussi des requins et surtout, surtout : la houle !!! Le bateau roule roule et roule comme jamais ! J’ai la sensation d’être ivre sans avoir rien bu ! Je dois m’attacher pour cuisiner et la nuit, je dors bercée ou secouée. Les objets s’entrechoquent, j’identifie les « glings » et les « blings » et tout est ensuite bien calé comme lorsqu’on navigue. Le mouillage devient rock’n'roll ! Vagabond fait la java ! Même Tom a un peu le mal de mer, c’est une première ! On finit par relever l’ancre pour s’installer plus au nord, proche des rochers, c’est mieux protégé. Puis, on imagine même dormir sur terre, sous tente au milieu du village devant le petit magasin parce que les sympathiques gérants nous l’ont proposé. Fatiguée et souffrante du mal de mer, un soir, je n’en peux plus et je rêve d’une nuit en pension, malheureusement, cela dépasse amplement notre budget. Bref, on ne vient pas aux Marquises pour le confort des mouillages, ni pour les plages de sable blanc et l’eau cristalline. Les Marquises n’ont pas de beau lagon en guise de bienvenue mais elles ont bien d’autres merveilles à offrir. A Hakahetau, le petit village de deux cent habitants, la vue sur les pitons qui dominent la vallée est époustouflante ! Ua Pou, qui se prononce Ua Pow, l’ « île des piliers » doit son nom aux douze spectaculaires aiguilles qui s’élèvent jusqu’à 1200 mètres et donnent au paysage une force impressionnante. On dirait une cathédrale...

« Manfred ville » l’étonnante chocolaterie au cœur de la jungle

Une jolie balade en forêt nous emmène au pied d’une cascade où nous profitons d’un bain rafraîchissant dans un bassin naturel, c’est trop beau ! Les moustiques aussi apprécient cet endroit, c’est l’envers du décor... Saloperie ! Le chemin qui se poursuit sur 1,5 km (toujours en montée !) offre un superbe panorama sur les pitons, la vue est à couper le souffle ! Plusieurs montagnes pointues s’élèvent de la jungle dans l’air, c’est presque surréel, un mélange de coulisse des films « Harry Potter » et « Jurassic Park ». J’ai la sensation d’atteindre le bout du monde. Une drôle de pancarte indique « Manfred ville », nous sommes chez le chocolatier allemand installé dans au beau milieu de la jungle. Devant sa maison, je suis surprise par le nombre de poules qui picorent les noix de coco ou s’installent dans les arbres à carambole. Elles sont absolument partout ! Incroyable ! Deux gros chiens nous aboient, c’est la sonnette ! Le « Schoko Mann », un sacré personnage farfelu drôle et charmant nos accueille. Il m’annonce que je suis le 906evisiteur cette année ! Il y a cinq ans, Manfred a créé son étonnante chocolaterie et depuis, le nombre de visiteurs ne cesse d’augmenter. Il dit en rigolant qu’il a 66 ans, mais que son visage, marqué par sa vie, en fait 75, et que dans sa tête et dans son corps il en a 25. Tandis que nous savourons quelques-unes de ses créations qui pourraient concurrencer avec le chocolat artisanal international reconnu, Manfred dévoile sa vie digne d’un véritable roman. Il est né et a grandi en Allemagne de l’Est. Il a été un judoka de grande renommée. A 25 ans, il entreprend une formation de masseur et il crée un SPA. Dix ans plus tard, tout part en fumée ! « J’ai tout perdu, c’était une grande désolation ! » Il n’a pas les moyens de reconstruire. C’est à ce moment-là qu’il tombe sur un film qui parle d’un atoll en Polynésie, il rêve et décide de changer de vie. Il a 35 ans lorsqu’il visite Tahiti, la mère de toutes les îles. Seulement, il y a un petit problème, il ne parle pas la langue : « J’ai appris l’anglais avec les touristes et le français avec les femmes » dit-il avec le sourire. L’opportunité de suivre une formation de pilote d’hélicoptère à Papeete se présente. « J’ai transporté Donald Trump et sa première femme Ivana, elle a eu tellement peur lorsque nous sommes tombés dans un trou d’air qu’elle m’a agrippé la cuisse. Avec la valeur du diamant sur sa bague, on aurait pu acheter une dizaine d’hélicoptères ! ». Manfred visite les Marquises et il reste scotché à Ua Pou. Il se marie avec Thérèse, une marquisienne. Il travaille d’abord comme carreleur, sa profession d’origine. Le climat est idéal pour planter du cacao. Il se met à tester ses recettes jusqu’à ce que la qualité de ses créations soit satisfaisante... Son idée était ingénieuse, il est l’unique chocolatier aux Marquises et c’est un succès !

Vagabond est au centre d’un lieu de tournage de film

Au retour, sur le quai, nous rencontrons l’équipe de réalisateurs de l’émission « Des racines et des ailes », ils font un film sur les Marquises (qui sortira au cinéma en 2021) et une partie du tournage se déroule dans la baie de Hakahetau... Tom est en train de se doucher dans le cockpit avec le pulvérisateur de jardin, quand un zodiaque passe juste à côté avec à son bord un cameraman et ses assistants. Ils filment la scène d’un marquisien sur une pirogue traditionnelle. Je rigole, quelques minutes auparavant, c’était mon tour d’être exposée dans mon plus simple appareil. Bref, le sujet du film restera la pirogue, c’est plus sage que le blond sans caleçon sur son bateau jaune !

Le temps des adieux

La vie de voyageurs est faite de bonjours et d’adieux. Après un mois et demi en leur bonne compagnie, Els et Jean-Christophe nous quittent pour se rendre à Hiva Oa où leur fille viendra les rejoindre pour quelques semaines. Ils profiteront encore des Marquises tandis que nous allons bientôt partir vers les Tuamotus puis Tahiti qui se trouve à 1500 km. Nous nous retrouverons probablement plus tard avec un tas d’aventures à nous raconter... Els et JC sont devenu de vrais amis comme il est rare d’en avoir... Bons vents à vous deux !

Une étonnante famille nombreuse parcourt les océans

Entre temps, Pinocchio, un voilier québécois de 14 mètres en acier, vient d’ancrer dans la baie. Je les suis sur Facebook depuis leur départ il y a trois ans. Ils naviguent comme nous, à l’ancienne, sans enrouleur, sans guideau électrique, sans frigo, bref très simple ! Mais, ce qui les rends unique et ce qui force le respect c’est qu’ils sont dix à bord de ce bateau qui n’est pas très grand pour cette famille nombreuse hors du commun ! 7 enfants de 3 à 14 ans et Brume, le chien. Épatant ! Je suis l’ainée d’une famille de six enfants donc je peux me faire une petite idée de ce que cela représente ! Un job à plein temps pour les parents, pas évident. Bravo ! Et ils n’ont pas froid aux yeux car ils arrivent par le Cap Horn ! (Je vous invite à jeter un coup d’œil sur leur page Facebook « Brume et Pinocchio »).

« Il y en a qui paye pour faire Paris-Dakar, moi je le fais tous les jours ! »

Un jour, nous décidons d’aller en « ville » (c’est toujours très relatif) à Hakahau, située à 15 km. Au bout d’une heure de marche, enfin une voiture passe et nous emmène. Nous faisons la connaissance d’un personnage intéressant, c’est l’instituteur qui est également le troisième adjoint du maire. Au centre artisanal de Hakahau, nos yeux s’émerveillent devant les superbes sculptures en bois et en pierres fleuries. A Ua Pou, les pierres sont fleuries, c’est un phénomène volcanique très rare. J’achèterais tout ! Mais je me contenterai seulement d’admirer et de papoter avec les artisans très sympathiques. Nous croisons les deux catamarans qui ont quittés le mouillage trop agité de Hakahetau quelques jours auparavant pour venir à l’abri ici. Ça leur plaît, il y a les supermarchés, la boulangerie et Internet. Malgré l’inconfort, je préfère de loin la beauté et le charme de Hakahetau. Pour le retour, nous campons sur le bord de la route devant le petit supermarché. Les gens sont vraiment gentils, les voitures s’arrêtent d’elles-mêmes pour nous demander où on va et tenter de nous aider pour trouver une voiture. Quelques habitants de Hakahetau sont descendus en ville donc on finira bien par trouver une voiture. Il faut juste s’armer de patience. Finalement, une voiture s’arrête et nous emmène. C’est Patrice, un français de Rochefort installé en Polynésie depuis 40 ans. La route est une piste, notre chauffeur s’exclame en rigolant : « Il y en a qui payent pour faire Paris-Dakar, moi je le fais tous les jours ! ». Sur le trajet, nous nous arrêtons pour admirer la magnifique baie des requins où l’on voit bien les silhouettes évoluer dans l’eau jusqu’au bord de la plage. Ils ont bien plus peur de nous que nous avons peur d’eux et fuient dès qu’on met un pied dans l’eau ! Les enfants viennent se baigner ici. Il paraît qu’un richissime bonhomme aurait eu l’idée de faire construire un hôtel sur cette plage blanche sauvage et romantique. Il en aurait eu les moyens. Mais finalement, à bien observer ce lieu d’une beauté unique, il a fini par se dire qu’il préférait que cet endroit reste ainsi avec tout son charme édénique.

Patrice nous invite dans sa magnifique maison et nous gâte de délicieux repas comme on en rêve souvent. C’est comme un menu de Noël ! Il faut dire que sans frigo et petit budget, notre alimentation est quelque peu monotone et souvent végétarienne. Il nous offre des fruits et sa connexion Internet. Les discussions sont passionnantes, nous passons des moments très agréables en sa compagnie et celle de son amie Françoise. Merci ! Ça réchauffe le cœur des rencontres pareilles ! Patrice pourrait aussi écrire un livre sur sa vie riche ! Et nous, quand on voit sa maison, on se laisse inspirer et on finit par se dire qu’un jour, on pourrait bien s’imaginer vivre comme lui...

Entre femmes !

Un voilier français avec équipage féminin vient d’ancrer dans la baie. Clémence, 29 ans, navigue le bateau de sa maman. Charlotte 30 ans, une très bonne amie d’enfance est venue la rejoindre. D’habitude, on ne rencontre pratiquement que des couples dont la grande majorité ont l’âge de la retraite ainsi que quelques marins solitaires, dont la plupart n’ont pas forcément choisi de l’être... Les femmes capitaines sont rares ! Et s’il y a une chose qui me manques, c’est de passer des moments entre nanas ! Clémence travaille dans la logistique pour le bateau d’expédition « Tara », autant dire qu’elle a un job passionnant qui lui a déjà permis de découvrir des pays ! Charlotte vit à Hongkong, son job est tout aussi intéressant, elle est monitrice de yoga pour une ONG qui s’occupent de personnes et d’enfants handicapés en Chine. Toutes les trois, nous partons nous baigner à la cascade et allons voir Manfred. Il est tout content de nous voir, parce qu’il aime les femmes, les poules (il en a une centaine) et les chats (il en a trente). Tandis que les moustiques nous dévorent, nous écoutons ses histoires et ses blagues tout en dégustant une succulente glace pistache fait maison et bien entendu ses fameux chocolats.

Les Marquises ne nous ont pas laissé pas partir...

Le bateau est chargé de pamplemousses et de kilos de citrons, une monnaie d’échange dans les atolls des Tuamotus. Au départ, notre chère « diva » lunatique fait encore ses malins caprices et crève plusieurs fois... Vroummm pout pout pout... On hésite, qu’est-ce qu’on fait ? Demi-tour et retour dans la baie de Hakahetau ? Ou cap direct sur Tahiti ? Aller aux Tuamotus avec un moteur pas fiable, c’est trop dangereux ! Quelle frustration !!! Y en a marre de ce moteur ! Les voiles sont hissées. Le long de la côte de Ua Pou, les rafales soulèvent une impressionnante fumée d’écume sur la surface de l’eau, les voiles se remplissent de vent et Vagabond se couche. Arrivés au Sud-Ouest de l’île, voilà qu’on tombe dans un trou de vent ! Plus un souffle d’air alors que 5 minutes plus tôt on avait 25 nœuds ! Les voiles claquent et les vagues nous rattrapent et nous secouent violemment ! Notre moteur ne démarre plus, il ne veut plus rien savoir ! Des dauphins nous accueillent mais on les ignore, on a bien d’autres soucis en ce moment. Que faire ? On savait que ça allait être sport les prochains jours et on aurait préféré partir avec 15 à 20 nœuds de vent. Impatients, on se réjouissait un peu trop d’aller aux Tuamotus. 20 à 25 nœuds de vent annoncés, on peut facilement en ajouter 5 et encore plus dans les rafales et il y a les vagues qui vont avec ! Bref, ça commence mal et les prochains jours seront bien pire d’après les prévisions ! On n’aurait pas dû partir. Alors, la raison l’emporte, demi-tour. On avance gentiment au près inconfortable avec la houle sur le nez. On barre pour mieux tenir le cap car les rafales sont violentes. Il faut s’éloigner de la côte et de l’effet des montagnes. On réfléchit. Finalement, on change de plan et on met le cap vers Taiohae sur l’île de Nuku Hiva. Là-bas, on aura plus de chance de trouver de l’aide pour notre moteur. Peu avant le coucher de soleil, un superbe arc-en-ciel envoie toutes ses superbes couleurs dans le ciel ! Je lutte contre le mal de mer, je m’allonge quelques minutes par terre à l’intérieur. Soudain, j’entends comme un grondement. C’est la colère de l’océan, le vent a fraîchi. Le Pacifique ne porte plus son nom... Tom est à la barre, le bateau gîte dangereusement et les vagues le recouvrent. Les hauts et les creux sont vraiment impressionnants ! Soudain, une vague s’invite dans le cockpit et le rempli comme une baignoire, les nouveaux joints n’ont pas tenu, il n’est toujours pas étanche, l’eau a rejoint les fonds de cales, génial. Un hublot était mal fermé, le lit du carré est complètement trempé ! Génial. L’océan est déchaîné ! J’ai peur ! La nuit est presque tombée et il faut absolument enlever la grande voile. Je dois prendre la barre et tenir le cap pendant que Tom, au pied du mat, se bat pour faire tomber cette voile. Je suis concentrée comme jamais. C’est flippant ! En langage marin, on appelle cela un grain, c’est à dire un bon coup de vent accompagné de pluie, en langage débutant on appelle cela une tempête. Et plus le voilier est petit, plus c’est sport et impressionnant ! Bref, ça y est ! La voilure est réduite. Tom s’est blessé, il saigne à la main et il en a foutu partout. Le bateau ralenti et se redresse. Mes dents jouent les claquettes, claclaclacla. Le grain est d’une violence comme on n’a pas vu depuis bien longtemps ! On est trempé, on a froid et on enfile nos vestes de quart, elles n’avaient plus pris l’air depuis l’Atlantique... Le vent finit par se calmer alors on hésite à remettre la grande voile quand soudain, il revient en force et on avance toujours à 4 nœuds avec des pointes à 5 et demi juste avec un simple foc. A l’approche de l’île de Nuku Hiva, le vent tourne et le cap devient difficile à tenir, il ne faut pas rater l’entrée de la baie, on n’a pas du tout envie de tirer des bords ! Pour les 4 derniers milles, le moteur est enclenché et il nous ramène sans poser aucun problème jusqu’au mouillage. On ne comprend plus rien ! Notre « diva » lunatique est un vrai mystère ! L’ancre est posée à l’écart des autres voiliers, dans le coin juste devant l’hôtel de luxe « Pearl Lodge ». Il est 22h, on range le bateau, rien n’est cassé mais les pamplemousses se sont baladés et nos habits trempés traînent partout. Au cours de cette journée mouvementée, nos estomacs noués n’ont rien pu avaler d’autre que du coca et des barres de céréales. Je prépare un repas rapide et nous ouvrons notre dernière bouteille de vin rouge avant de plonger ensuite dans un profond sommeil !

Rien n’arrive par hasard

Un tout petit voilier est ancré proche de la plage de sable noir… J’avais comme un pressentiment en retournant à Taiohae... Je ne crois pas au hasard... Eh bien, c’est Venu ! Le navigateur indien solitaire ! Vous vous souvenez ? J’en parlais dans mon article sur la traversée du Pacifique. Grâce à notre moteur qui nous avait fait faire demi-tour, nous avions fait la connaissance de Venu et aujourd’hui encore, grâce à notre moteur, nous le retrouvons ! Venu, c’est une bonne âme, c’est un philosophe, un psychologue et un sacré bonhomme ! Avec son petit voilier de 9 mètres, il a eu son lot de galères lui aussi avant et pendant la traversée... Il est parti tard dans la saison et il a atteint les Galápagos après 23 jours de navigation où il a dû faire escale pour réparer son gréement endommagé. Il a repris la mer et il est arrivé aux Marquises au bout de 37 jours. Venu dégage quelque chose, il rayonne et il est toujours là pour les autres. Il donne beaucoup sans jamais rien attendre en retour. Sa philosophie est d’aider son prochain parce que c’est bon pour son karma… S’il y avait davantage de gens comme Venu sur terre, il y aurait beaucoup moins de problèmes...


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