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Frayeurs sur le trajet vers le Panama...


Le temps est venu de faire nos adieux et de poursuivre notre périple vers le Panama. Nous avons une petite fenêtre météo, le trajet va être un peu sport mais nous n'avons pas le choix, nos vols de retour en Suisse sont réservés, il faut y aller !

Le grand navigateur Éric Tabarly a dit un jour que "Le voilier est de loin le moyen le plus lent, le plus inconfortable, le plus coûteux, le plus dangereux et le plus humide pour quitter un endroit où l’on se trouve particulièrement bien et rejoindre un endroit – pas forcément prévu – où l’on n’a rien à faire.” Il n'a pas tort, il faut être un peu fou non ? Nous voulions sortir de la routine, nous rêvions d'aventures, eh bien nous sommes servis ! Mais je crois que cette fois-ci, nous avons eu suffisamment d'adrénaline...

Terrassée par le mal de mer

L'île de Bonaire disparaît lentement derrière nous. Cahoté par la houle, le mal de mer est de retour. Et moi qui croyais que j'étais enfin guérie... Je suis très affaiblie, un zombie ou un légume ou un peu des deux... Même le capitaine n'est pas au top de sa forme. Les repas ne seront pas de la grande gastronomie, une boite de raviolis ou des nouilles chinoises feront l'affaire et ressortiront bien plus vite qu'ils ne sont rentrés ! J'ai appris quelques leçons. Premièrement : ne jamais attendre le dernier moment pour chercher des médicaments contre le mal de mer car si la pharmacie est en rupture de stock, on est vraiment mal ! Deuxièmement : ne pas sous-estimer la quantité de biscottes nécessaire à mon régime de croisière. Et troisièmement : un léger abus d'alcool lors de la soirée d’adieu avec nos amis navigateurs, le soir avant le départ, ce n'était pas très malin !

Un poisson au bout de la ligne !

Les objets cessent de s’entrechoquer et l'océan nous offre une petite accalmie. Mon estomac aussi me donne une courte pause avant que les nausées reprennent de plus belle. La nuit est tombée, il faut que je remonte la ligne de pêche à la traîne qu'on a complètement oubliée. Surprise ! Un magnifique thon a mordu à l'hameçon. C'est mon premier poisson, je suis super contente ! Sauf que j’ai oublié un petit détail : je n'ai jamais tué un animal et c'est impossible, je n'y arriverai pas ! Alors, je réveille Tom, qui encore à moitié endormi, se retrouve à devoir l'achever rapidement d'un coup sur la tête. Comme nous n’avons pas de frigo et bien il va falloir le manger pour le p’tit déjeuner, ce n'était pas vraiment le meilleur timing. Je ne suis pas sûr d'avoir envie de renouveler cette expérience. Je préfère avoir un poisson dans mon assiette sans devoir passer par l'étape criminelle :-)

Le petit Cap Horn

Nous sommes au large des côtes colombiennes, à la pointe extrême nord de l'Amérique du Sud, face à un cap de mauvaise réputation, surnommé le petit Cap Horn. Comme à tout passage de cap, le vent s'intensifie. Dans les parages, il s’établit à 50 nœuds deux cent cinquante jours par an. A cela, s'ajoute l'effet des profondeurs, on passe de la hauteur abyssale à quelques dizaines de mètres, ce qui engendre une mer grosse en permanence avec des vagues pouvant aller jusqu'à 7 mètres ! Quand les alizés soufflent au plus fort, la traversée des Petites Antilles vers Panama peut être rude, cela est confirmé par certains marins qui l’on décrite comme la plus dure jamais vécue. Heureusement, nous sommes dans la meilleure saison pour passer dans cette région (soit avril-mai ou fin novembre-décembre, quand les alizés sont moins fort). Nous gardons une bonne distance des côtes, au-delà de la ligne des 1000 mètres de profondeur. Nous avons plus que les 25 nœuds (1 nœud = 1.8 km/h ou multiplié par deux c’est plus simple, donc 50km/h) de vent annoncé sur les fichiers météo et une houle d'au moins 3 mètres. Vagabond glisse le long des pentes et bat ses records de vitesse avec des pointes jusqu'à 10 nœuds et une moyenne de 6-7 nœuds avec un simple foc (voile triangulaire hissée à l’avant), une jolie performance pour un petit bateau en acier comme lui. De grosses déferlantes nous foncent dessus, nous les surnommons les locomotives à cause du bruit qu'elles génèrent. Il y a celles qui nous soulèvent et nous poussent à vive allure et les méchantes qui nous donnent des coups, un gros "boum" résonne alors sur la coque et nous dévie de notre cap. L'aries (notre pilote mécanique) gère comme un chef et nous n'aurons pas à tenir la barre, ouf !

Des conditions qui nous rappelle la transat

La troisième nuit, le vent fraîchit et la mer est très mauvaise. Nous ne sommes pas très loin des conditions que nous avons eues pendant la transatlantique... La nuit est longue, impossible de fermer les yeux. Il fait une chaleur suffocante. Ça tape, ça siffle, ça gronde, ça bouscule et hop une vague qui nous englouti tandis qu'un peu plus tard, une autre atterrie dans le cockpit. Et devinez ce qui se passe quand les vagues se brisent dans le cockpit en le remplissant comme une baignoire ? Eh bien l'eau rejoint les cales (espace sous les planchers) ... Voilà, c'est rageant, le problème d'étanchéité qu'on croyait enfin avoir réglé ne l'est pas encore. Il va falloir trouver une solution beaucoup plus ingénieuse que de simplement coller des joints autour du cadre de la trappe d'accès au moteur. Bon, heureusement, la pompe de cale électrique fonctionne, on actionne un bouton et hop l'eau se vide, c'est plus confortable que de devoir écoper manuellement seau après seau. « Ça pourrait être pire » comme dit toujours Tom...

Le 4e jour, le vent est encore plus violent et les creux encore plus impressionnants ! Vagabond penche sur un angle de plus de 30 degrés. Nous devons réduire la surface de voile et c'est plutôt sport ! Je n’aime pas voir Tom faire le kamikaze à l’avant du bateau… Avec la minuscule voile de tempête, nous avançons encore à une moyenne de 5-6 nœuds avec des pointes allant jusqu’à 7 nœuds ! Ça souffle vraiment par ici et la mer est une véritable marmite de sorcière ! Vivement que l’on sorte de là !

L'océan est une poubelle

Nous sommes le 5e jour. Ce matin, je découvre avec une profonde tristesse des défilés d'énormes tapis de sargasses transportant une quantité de déchets hallucinante ! Du plastique, des bouteilles, des morceaux de bois... Nous naviguons sur une déchèterie et j’ai envie de pleurer...

Nous percutons un énorme tronc d'arbre !

Nous sommes à l'intérieur quand soudain, c’est le choc d'une violence ahurissante !!! Boum boum et boum ! Mon dieu ! Nous avons heurté quelque chose et nous continuons de le frapper ! Nous bondissons à l'extérieur. Un énorme tronc d'arbre d'une dizaine de mètres et 80 cm de diamètre est coincé en travers sous le bateau, entre la fin de la quille et l'arbre d'hélice, qui heureusement est protégé par un skeg (un triangle en acier qui protège l’hélice et le safran). C'est complètement surréel ! Non mais quelle poisse !!! Nous avions déjà évité une armoire réfrigérante sur le trajet vers Bonaire et maintenant, c’est la collision avec un arbre ! Nous sommes totalement coincés, posés sur le tronc qui cogne, cogne et cogne encore contre la quille ! Un bruit qui fait mal à entendre… Quel cauchemar !!! Dans ma tête, tous les scénarios défilent… Il va casser le bateau ! Comment se libérer ? Pour la première fois, je vois Tom paniquer et être totalement impuissant. Il tente d'allumer le moteur qui heureusement fonctionne, l’arbre d’hélice est intact. Il essaye alors de faire marche avant puis marche arrière pour nous dégager alors que je tente sans succès de repousser le tronc avec une gaffe (une longue perche avec un crochet au bout). Finalement, au bout de quelques longues minutes interminables de supplice, le tronc se libère enfin en frappant encore un gros coup contre le safran de l'aries. Tom est tout pâle et tremble de peur et moi pareil. Il ne reste plus qu'à prier pour qu'il n'y a pas de dégâts. Aucune voie d'eau, le safran (le gouvernail) n'a rien, ni l'arbre d'hélice et incroyable le régulateur d’allure fonctionne toujours malgré le choc qu'il a reçu ! Miracle ou bon bateau costaud ? Merci Vagabond ! Je sais maintenant pourquoi Tom voulait un solide bateau en acier, la sécurité prime avant tout le reste. Nous réalisons à peine ce qui s'est passé et quelle chance nous avons eue dans notre malchance… Se prendre un arbre au milieu de l'Atlantique et se retrouver perché à cheval au-dessus, fallait le faire quand même !!! Vagabond sera bientôt hors de l’eau pour le carénage et nous sommes très curieux de découvrir les dommages laissés sur la quille, il y a probablement quelques bosses et rayures...

Dans cette zone, bien au large des côtes colombiennes, nous apercevons plusieurs troncs d'arbres ainsi que de nombreux déchets, probablement emportés par le Rio Magdalena, le deuxième plus grand fleuve d'Amérique du Sud qui se déverse dans l'océan à une centaine de milles nautiques d'ici. Avec la houle, impossible de repérer les obstacles à l'avance, c'est un véritable champ de mine franchement dangereux et nous avons évité le pire !

Derniers souffles des alizés

Progressivement, l’alizé s'affaiblit et pour le plus grand bonheur de mon estomac, la mer s'aplatit. La nuit tombe sous un ciel parsemé de myriades d’étoiles, alors que le plancton phosphorescent illumine le sillage du bateau. C’est magique ! Tout est si calme, il n’y a plus que le chuintement de l'eau qui s’écoule sous l’étrave. Les derniers souffles du vent gonflent nos voiles jusqu’à ce que l’alizé s’étouffe complètement. A l’aube du 6e jour, nous enclenchons le moteur. La chaleur est torride, il fait 35 degrés à l’intérieur. Le pilote automatique électrique surchauffe lui aussi et Tom, en véritable Mac Giver lui fabrique un petit toit de soleil et nous l’arrosons régulièrement pour le rafraichir un peu.

L’eau n’est plus qu’un immense désert, un immense rien monotone, plus de poissons volants, plus d’oiseaux, plus rien… Toujours aucun bateau croisé depuis notre départ, nous sommes seul…

Un cargo nous frôle de très prêt !

7e jour, le soleil vient juste de se lever. Il est 6 heure, le vent est toujours absent et je dors bercée par le ronronnement du moteur pendant que Tom effectue son quart dans le cockpit. Soudain, une vague gicle par la fenêtre et me réveille en sursaut et là, je crois être dans un vilain cauchemar : un gigantesque cargo défile à grande vitesse juste à côté de nous, à quelques mètres et Tom est à la barre, terrifié, en état de choc ! Cette image restera à jamais gravée dans ma mémoire. Tom a juste eu le temps de changer le cap pour éviter le monstre en route de collision. Il tremble et les larmes s’écoulent… C'était moins une ! Il nous a frôlé de prêt et aurait pu nous percuter et nous envoyer par le fond. Le mastodonte indifférent, sous pilote automatique aurait poursuivi sa route sans s'apercevoir de rien... Tom avait fait un visuel de 360 degrés 15 minutes auparavant, dans la lumière diffuse du soleil levant, il ne l’avait pas vu venir. Il était assis face à l'arrière du bateau, concentré sur ses calculs de navigation… Ce qui nous a sauvé, c'est qu'il n'avait pas la musique sur les oreilles et il a pu entendre le cargo une fois qu'il était déjà très proche. Ce gros monstre était vraiment rapide, à peine 15 minutes plus tard, il n'était plus qu'un minuscule point à l’horizon ! Plus nous nous rapprochons du canal de Panama, plus le trafic va s'intensifier et nous devons redoubler de prudence, autant le jour que la nuit! Le réveil sonne maintenant toutes les dix minutes, nous sommes quelques peu traumatisés…

Le ciel en colère !

Le soleil se couche dans un ciel dramatique. Un gigantesque mur noir fonce droit sur nous. Le décor devient fantomatique. Il va falloir passer au travers de l’orage… La pluie commence à tomber. A l’abris, à l’intérieur, nous effectuons une veille attentive sous la bulle en plexiglas. La mer, qui dix minutes auparavant était d’huile, se met à bouillonner. Le déluge commence. Nous sommes au cœur d’un festival d’éclairs spectaculaires et coups de tonnerre assourdissants. Les flashs éclatent tout autour de nous et nous sommes tenaillés par l’angoisse d’être foudroyé. La peur me prend les tripes et moi qui ne suis pas pratiquante, je me mets carrément à prier tous les dieux et les anges possibles et imaginables ! Normalement, avec un bateau en acier, la foudre qui passerait à travers le mât risquerait de griller tout le système électrique mais n’occasionnerait pas plus de dégâts. Voilà de quoi nous rassurer mais nous ne le sommes pas vraiment. Deux longues heures plus tard, nous avons traversé ce violent orage qui nous a heureusement épargné. Le ciel s’allume toujours derrière nous, j’ose à présent admirer le spectacle de loin, c’est plus sympa que d’être dedans !

Si proche du but, le moteur nous lâche…

Terre à l’horizon !!! Le Panama est là, droit devant nous, à seulement 40 km, la côte est couverte de jungle, nous admirons les paysages somptueux à la nature préservée. Mais, nous ne sommes pas au bout de nos peines car voilà que notre moteur fait des caprices. Il crève et refuse d’avancer. Nous sommes bloqués sur une mer d’huile, sans un pet de vent, en plein cagnard, avec un moteur qui ne veut plus rien savoir ! Lors de l’orage, avec la houle sur le nez, les secousses, la gite et le réservoir à moitié vide, le moteur a peut-être aspiré de l’air ? Ou est-ce la pompe à essence qui pose problème ? A moins que la cause soit une mauvaise qualité de diesel ? Aucune idée, nos compétences en mécanique ont leurs limites... Alors, après avoir tenté tout ce qu’on pouvait faire et avant d’en arriver à l’étape du désespoir, l’idée de prendre une bière accompagnée de cacahouètes et d’olives aux anchois nous réconforte et rehausse notre moral. D’habitude, nous ne buvons pas une goutte d’alcool lorsque nous naviguons, nous venons de faire une rare exception. Et vous savez quoi ? Le moteur fini par redémarrer, mais c’est un bonheur fragile. Nous progressons lentement vers le but. On va finir par y arriver mais ça se mérite ! Le problème, c’est que nous n’arriverons pas avant la tombée de la nuit et approcher la côte parsemée d'obstacles, dans l’obscurité, par un temps orageux, avec un moteur pas fiable, c’est beaucoup trop risqué ! Nous devons prendre la sage décision de passer encore une nuit en mer.

La nuit au clair de la pleine lune est paisible, le vent est presque absent, les orages éclatent au loin mais ne viendrons pas perturber le calme de notre dernière nuit. Nous dérivons lentement vers le but avec la grande voile. Nous effectuons à tour de rôle une veille attentive tous les 15 min en observant les cargos défiler à distance.

Le soleil se lève derrière des nuages de formes majestueuses, une belle journée s’annonce. Il nous reste 10 milles nautiques jusqu'au but, 20 petit kilomètres qui vont nous sembler une éternité. Toutes les voiles sont hissées, une légère brise nous pousse lentement sur une mer plate. Une belle navigation qui nous rappelle les après-midis sur le lac de Neuchâtel. Eole, dieu du vent, ne nous lâche pas s’il-te-plaît. Pour nous distraire, deux petits requins curieux nous accompagnent, je leur file à bouffer et m’amuse à les filmer. La brise finit par s’étouffer et pour les derniers kilomètres, le moteur accepte enfin de redémarrer mais à très faible régime. Tom est crispé, il ne faut surtout pas qu’il nous lâche et se sera vraiment tout juste… A plusieurs reprises, Tom tente de contacter la marina par VHF pour demander assistance à notre arrivée au cas où le moteur venait à crever et que nous ne serions plus manœuvrables, mais nous n’aurons pas de réponses… Le stress monte. La terre n’est plus très loin et toute une colonie d’abeilles embarquent à bord et prennent Vagabond pour une fleur à butiner, le désavantage de la couleur jaune… Tom en effectuant sa dernière manœuvre : descendre la grande voile, s’ouvre le deuxième orteil et se casse le petit orteil en se cognant bêtement… Ouille ! Aille ! Ça pisse le sang, vite les sparadraps !!! Manquait plus que ça !

Nous arrivons enfin à Panamarina, une petite marina tenue par un couple français. Un gars arrive en annexe et nous aide à attraper une bouée, heureusement qu’il était là car notre moteur ne répondait plus. Ouf, nous y sommes enfin, c’est fini ! Vagabond va prendre des vacances pendant 4 mois sur un petit chantier en pleine jungle. Fin du premier chapitre de ce voyage… Après toutes ces péripéties, nous avons besoins d’une petite pause avant de poursuivre nos aventures…

Le décor est magnifique !!! Plus beau que tout ce que j’aurais pu imaginer !!! Nous sommes amarrés à une bouée au cœur des mangroves et entourés de collines verdoyantes recouvert d’une jungle luxuriante. L’air retentit de cris d’oiseaux et de singes. Tous ces bruits bizarres, ces cris, ces chants, ces hurlements rendent l’endroit encore plus magique. C’est la nature, c’est sauvage et c’est trop beau !!!

Et pour la dernière petite anecdote, eh bien nous avons voulu nous rendre à l’endroit où nous pourrions trouver le Wifi, histoire de nous reconnecter après 8 jours hors civilisation et vous raconter nos derniers épisodes. Il nous fallait traverser un tunnel de mangroves avec notre annexe. Une balade féérique, le miroir de l’eau reflétait les arbres des mangroves, le tunnel étroit s’ouvrait alors sur la baie et là, et bien on s’est presque, je dis presque parce qu’on a un bon ange gardien, planté sur une patate de corail avec notre sol gonflable et notre petit moteur hors-bord ! C’était limite ! Ouf ! Demi-tour, ça suffit ! C’est bon, nous avons eu notre dose d’aventures pour ce premier chapitre !


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