De retour à civilisation depuis dix jours, je profite de quelques instants de tranquillité, propices à la réflexion, pour enfin trouver les mots et vous raconter ce retour sur terre, qui fut quelque peu troublant… Il est temps de revenir sur le passé afin d’en retirer des leçons et aussi de vous dévoiler la suite du voyage car vous avez été nombreux à nous poser la question…
Zoom en arrière, le 45e jour…
Je repense au 45e jour en mer… Nous avions absolument aucune idée de ce qui s’était passé pendant notre absence d’un mois et demi et nous étions très loin de nous douter de ce qui nous attendait… Nous étions hors du temps et quelle sensation vraiment étrange ! Il n’y avait que notre journal de bord et notre décompte des jours qui donnaient encore de la valeur au temps qui passe... Nous avons vécu un décalage horaire tout en douceur et nous avons dû adapter l’heure de bord le jour où voir le soleil se lever après 10h est devenu trop hors norme, il nous fallait retrouver quelques repères…
Quand nous sommes arrivés à l’abri de l’île, le vent et la houle, se sont enfin apaisés. Je pouvais tenir debout sans avoir besoin de me cramponner, quel bonheur ! Puis, nous sommes entrés dans la baie, surpris en découvrant autant de bateaux au mouillage ! Soudain, nous avons vu un zodiac foncer dans notre direction ! C’était notre ami Jean-Lou qui venait à notre rencontre ! Incroyables retrouvailles et instant inoubliable ! C’est à ce moment-là que nous avons appris qu’un avis de recherche était lancé et que nos familles, très inquiètes, étaient entrées en contact avec lui grâce à Facebook… Il s’est vite empressé de les prévenir pendant que nous nous dirigions vers le port. Nous commencions à peine à réaliser la souffrance que nous avions infligée à nos proches, nous nous sommes alors effondrés en larmes…
L’histoire a pris une telle ampleur !
Le retour sur terre a été très bouleversant ! D’abord, ce fut le choc en apprenant que nous étions portés disparus et que tout un dispositif de recherches avait été mis en place ! L’office suisse de la navigation maritime et le CROSS (centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) avertis, cela a déclenché toute une avalanche ! C’est allé jusqu’au Département Fédéral Suisse des Affaires Etrangères ! Des avis de recherches ont circulés dans toutes les capitaineries jusqu’au Brésil ! Bref, pour nous, tout cela était surréel ! Mais le plus incroyable, c’était de découvrir un sacré coup de vent de panique sur les réseaux sociaux ! Tout le monde s’inquiétait pour le petit voilier jaune Vagabond, un avis de disparition qui a été partagé en masse dans tous les groupes Facebook de navigateurs, par des inconnus et par nos proches. Puis le message comme quoi Vagabond est enfin arrivé ! C’était complètement fou de découvrir la photo de notre voilier à la une sur la toile ! Cette histoire a pris une ampleur dont nous n’aurions jamais imaginés !!! La reconnexion fut quelque peu explosive et intensive après 45 jours coupés du monde ! Nous avons reçu de nombreux messages extrêmement touchants, réconfortants, un élan de solidarité de la part de la communauté des navigateurs et d’inconnus qui nous a beaucoup touchés, émus et qui a été un véritable soutien pour nos proches pendant cette longue attente… Vous avez été si nombreux à nous écrire et à commenter les publications que nous avons été quelque peu débordés et n’avons malheureusement pas pu répondre à tout le monde…
Aucun navigateur n’est épargné par les problèmes techniques
Aujourd’hui, nombreux sont les témoignages de ceux qui ont également vécus une traversée difficile avec des alizés soutenus, parfois violents, une houle très inconfortable, un enchaînement de grains avec des rafales atteignant jusqu’à plus de 60 nœuds ! L’océan n’est pas un terrain de jeux pour enfants et la casse fait partie du voyage, certains ayant un peu plus de malchance que les autres… Nous ne sommes pas les seuls à avoir galéré, je pense à ceux qui sont arrivés épuisés après avoir dû barrer toute la traversée suite à un pilote automatique défectueux. Même en étant le mieux préparé, aucun navigateur n’est épargné par les problèmes techniques et nous sommes nombreux ici en Martinique à réparer après la transat !
Le dérèglement climatique
Il semble que cette année, le climat soit particulièrement déréglé… Il fait plus chaud au Groenland qu’à Paris ! Il a neigé en Floride ! Les cyclones sont toujours plus violents… C’est un sujet de discussion dont on parle beaucoup entre navigateurs. Le climat « fou le camp » et nous sommes inquiets ! Pourrons-nous toujours traverser des océans avec des petits bateaux dans trente ans ? Franchement, on se le demande...
En Martinique, les locaux aussi parlent d’une météo anormale : beaucoup de vent, beaucoup de grains, des températures plus fraiches que d’habitude.
Les sargasses, ces algues, dont nous avons pu faire connaissance pendant près de 2000 km, envahissent les plages des Antilles… Un phénomène apparu depuis quelques années, provenant du golfe de l’Amazone. Le triste résultat de la pollution (agriculture intensive, lessivage des sols suite à la déforestation intensive, destruction de la mangrove…) et du réchauffement climatique…
Les leçons que nous retirons
De cette aventure ou mésaventure, cela dépend si l’on voit le verre à moitié vide ou à moitié plein, nous avons retiré une principale et grande leçon, c’est de pouvoir donner des nouvelles quand nous sommes en mer. Cela aurait évité que l’on en arrive à s’imaginer qu’on avait peut-être été victime des pirates quelque part pas loin de Lanzarote…
Il faut dire que malheureusement, le capitaine appartient à cette génération de navigateurs, en voie de disparition, qui ont commencés à naviguer avec le sextant (avant l’invention du GPS) et qui en ce temps-là, voyageait pour être déconnecté. Pour lui, c’était la belle époque où il y avait davantage de petits bateaux. Beaucoup partaient avec un bon équipement mais bien plus simple et surtout avec un budget bien plus modeste ! Il y en a qui sont partis pour un tour du monde avec moins de 3000 euros !
Aujourd’hui, Tom retire une leçon de ce qui s’est passé et la première chose qu’il a fait, après notre arrivée, était d’investir dans un système BLU qui nous permettra de pouvoir communiquer quand nous sommes en mer. Nous pourrons aussi recevoir des fichiers météos. Mais, finalement, avec un petit bateau, nous ne sommes souvent pas assez rapides pour nous dérouter en cas de mauvais temps. D’ailleurs, je pense que si nous avions su que la météo allait rester telle qu’elle jusqu’au dernier jour, cela aurait été totalement décourageant ! Car, ce qui nous a permis de tenir le coup, c’était l’espoir que la météo allait s’améliorer que le vent finirait bien par souffler en dessous de 30 nœuds…
Avec un petit voilier, nous ne traverserions plus l’Atlantique en janvier/février parce qu’en effet, parfois, cela peut être l’enfer ! Confirmés par de vieux loups de mer qui en ont fait l’expérience aussi. Toutefois, chaque traversée est différente et l’Atlantique peut se montrer aussi hostile que bienveillant. Pour certains, c’est un immense tapis roulant et pour d’autres, c’est la « cuisine du diable » ! Le facteur chance ayant certainement aussi un rôle à jouer…
Enfin, nous aimerions bien installer un enrouleur de génois, parce que je n’aime pas voir Tom faire le kamikaze à l’avant du bateau quand ça bastonne ! J’ai réussi à le convaincre, lui qui n’a jamais navigué autrement. Seulement, le hic, c’est le prix qui fait très mal et qui remet tout en question !
Nous pourrions encore investir dans un spi ou gennaker pour avancer plus vite dans la pétole, dans un système AIS, un radar, un téléphone satellite, et puis dans un frigo qui nous offrirait le confort des boissons fraîches et du beurre sur nos tartines… Mais nous passerions probablement encore du temps à terre entrain de bosser pour financer tout cela, finalement pas indispensable. Le bateau parfait n’existe pas, Vagabond a le défaut d’être un peu petit et équipé simple. Mais, on l’aime ce bateau et on va le garder, jusqu’au jour où le capitaine réalisera son rêve d’acquérir un mythique voilier Joshua…
Le temps des rencontres et des retrouvailles
Nous retrouvons tous nos copains navigateurs rencontrés lors de nos escales précédentes ! C’est un tel bonheur de les revoir ! Il semblerait que tout le monde se soit donné rendez-vous ici en Martinique ! Vagabond étant devenu célèbre par cette histoire, nous faisons beaucoup de chouettes rencontres. Entre deux apéros, nous n’avons malheureusement pas avancés dans nos travaux comme nous l’aurions souhaité, nous avons adopté le rythme des îles… De plus, il faut dire qu’il nous a fallu un temps de récupération, le sommeil m’avait définitivement abandonné pendant les premiers jours qui ont suivi notre arrivée…
La suite du voyage
Au cours de ce périple, Tom m’a souvent avoué que si cela avait été sa première traversée, il aurait probablement été dégouté à tout jamais de la voile ! Aujourd’hui, il s’estime heureux que sa femme soit toujours à bord, suffisamment têtue et déterminée, le mal de mer sera géré au mieux et le voyage ne s’arrêtera pas là, ça c’est sûr ! Il ne fait que commencer !
Pendant ces 45 jours, nous avons eu tout le temps de réfléchir à la suite du voyage. Nous sommes un peu tard pour traverser le Pacifique cette année, comme prévu initialement. Alors, nous allons rester encore quelques semaines en Martinique puis descendre au sud des Antilles, visiter les Grenadines et les îles ABC. Puis, l’idée est de mettre le bateau en sécurité pendant la saison cyclonique (peut-être en Colombie ou au Panama) et rentrer en Suisse cet été pendant trois à quatre mois pour travailler. Parce que nous n’avons malheureusement pas gagné à la loterie ni hérité d’une fortune, alors il faut bien remplir de temps en temps la caisse de bord pour pouvoir continuer à vivre nos rêves…
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PS 2 : Pour ceux qui ne l’ont pas vu, il y a une petite vidéo de la transat sur YouTube, parce qu’entre deux galères, il y avait tout de même quelques bons moments et le temps de sortir la gopro pour capturer des images…